Les cryptomonnaies comme couvertures contre l’inflation : Les cas du Bitcoin et des stablecoins

Pour Paul Tudor Jones, milliardaire et gestionnaire de fonds spéculatifs, le bitcoin, l’or et les actions constituent « le meilleur portefeuille pour lutter contre l’inflation ». L’or, bien entendu, en tant que réserve de valeur et actif refuge, est connu depuis longtemps comme un investissement judicieux, augmentant en valeur même lorsque l’inflation grimpe et érode la monnaie locale. Les actions, quant à elles, offrent un potentiel d’appréciation du capital et de versement de dividendes pouvant dépasser le taux d’inflation au fil du temps. Qu’en est-il alors du bitcoin et des autres cryptomonnaies telles que les stablecoins lorsqu'il s'agit de protection contre une inflation inévitable ?

En résumé

• Le bitcoin est de plus en plus perçu comme de « l’or numérique » en raison de son offre fixe, avec un potentiel de couverture contre l’inflation à long terme — bien que sa forte volatilité limite sa fiabilité à court terme.
• Les stablecoins, adossés à des monnaies fiduciaires comme le dollar américain, offrent une stabilité des prix par rapport aux devises locales plus faibles et sont largement utilisés dans les économies frappées par l’inflation.
• En Argentine et au Nigeria, où les monnaies locales se sont rapidement dépréciées, les citoyens se tournent vers les cryptomonnaies — en particulier les stablecoins — pour préserver leur pouvoir d’achat et contourner les contrôles de change.

Se protéger contre l’inflation

Qu’est-ce que l’inflation?

L’inflation survient lorsque la quantité d’argent en circulation dans l’économie augmente plus rapidement que les biens et services disponibles. Si les gouvernements ou les banques centrales injectent trop d’argent — autrement dit, s’ils « impriment de l’argent » — sans accroître la production du pays, chaque unité monétaire perd de sa valeur. Cela entraîne une hausse des prix et réduit le pouvoir d’achat des salaires et des économies des citoyens. L’inflation touche tout le monde dans un pays, mais les personnes défavorisées en subissent les conséquences de manière disproportionnée, payant un prix plus élevé que le reste de la population.

Cependant, toute inflation n’est pas nécessairement mauvaise. Bien que les consommateurs préfèrent un taux d’inflation de zéro pour cent, la Banque du Canada et la Réserve fédérale des États-Unis — toutes deux responsables des devises fortes que sont le dollar canadien (CAD) et le dollar américain (USD), politiquement et économiquement stables — visent à maintenir l’inflation à un taux idéal de 2 %, ce qui permet de stimuler l’économie tout en maintenant une certaine stabilité des prix.

En 2022, l’inflation a atteint 8 % au Canada et aux États-Unis, avec des répercussions ressenties par l’ensemble de leurs populations — les taux annuels les plus élevés depuis des décennies pour ces économies à devise forte. En comparaison, le taux d’inflation annuel de l’Argentine de 47,3 % constitue son niveau le plus bas depuis quatre ans. Ce chiffre signifie qu’en moyenne, les biens et services ont augmenté de 47,3 % entre avril 2024 et avril 2025.

Comment se protéger contre l’inflation?

Théoriquement, une couverture contre l’inflation permet de préserver la valeur monétaire là où l’inflation la fait diminuer, permettant ainsi à ceux qui la détiennent d’acheter des biens et des services malgré la hausse exorbitante des prix. L’or, par exemple, possède une valeur intrinsèque, contrairement aux monnaies fiduciaires, qui sont soumises aux ajustements de la politique monétaire — des facteurs déterminants pour l’inflation.

Un bon instrument de protection contre l’inflation, en tant qu’investissement, dépasse également l’inflation par les intérêts qu’il génère. Des fonds placés dans des comptes d’épargne traditionnels avec des taux d’intérêt annuels compris entre 1 % et 2,5 % perdront de leur valeur réelle dans un contexte d’inflation à 8 %, même si leur valeur absolue augmente. En revanche, l’or connaît une hausse de valeur nettement plus importante en période de crise financière.

Le Bitcoin a été salué ces dernières années comme étant de « l’or numérique ». Nous allons maintenant examiner dans quelle mesure cette affirmation tient la route, et comment les stablecoins peuvent, selon la situation, se comparer aux bitcoins.

Les bitcoins

Rareté

Le Bitcoin a été conçu comme un moyen d’échange résistant à l’inflation, avec une offre plafonnée, imitant la rareté d’une ressource naturelle. Bien que les bitcoins soient encore activement minés, une limite codée et stricte de 21 millions de bitcoins existe, au-delà de laquelle aucun nouveau bitcoin ne sera émis. L’offre limitée de bitcoins les distingue également des monnaies traditionnelles émises par les gouvernements, dont la quantité peut être ajustée à volonté par les banques centrales émettrices.

Décentralisation et indépendance

L’indépendance du bitcoin vis-à-vis du contrôle direct des gouvernements le rend attrayant pour ceux qui cherchent à protéger leur épargne contre l’inflation — en particulier à une époque marquée par une dette nationale et mondiale croissante. Ray Dalio, fondateur de Bridgewater Associates, avertit qu’à long terme, l’alourdissement des dettes entraînera une érosion de la valeur des monnaies fiduciaires. Il cite des actifs comme l’or et le Bitcoin — des formes de « devise dure » — comme une alternative solide aux obligations et à la dette émises par les gouvernements.

Adoption institutionnelle en hausse

Les bitcoin, comme les autres cryptomonnaies, sont soumis à une volatilité extrême. Bien que cela puisse nuire à leur réputation en tant que « or numérique » — l’or étant l’un des actifs les plus stables —, l’adoption institutionnelle commence à atténuer cette volatilité des prix. Ces dernières années, les investisseurs institutionnels ont de plus en plus reconnu le potentiel du bitcoin en tant que réserve de valeur, c’est-à-dire des actifs ou devises pouvant être épargnés, récupérés et échangés ultérieurement sans perte significative de pouvoir d’achat — des caractéristiques essentielles pour servir de protection contre l’inflation.

Performance en tant d’incertitude

Une étude a révélé que les prix du bitcoin augmentent en cas de chocs inflationnistes, une caractéristique que le bitcoin partage avec l’or. Toutefois, la comparaison entre le bitcoin et l’or reste imparfaite : les prix du bitcoin ont tendance à baisser lors de périodes d’incertitude financière, comme lors de ventes massives sur les marchés, tandis que le prix de l’or, en tant que valeur refuge, a tendance à augmenter en temps de crise.

Cela dit, l’incertitude politique ne semble pas avoir d’effet négatif sur le prix du bitcoin, ce qui suggère qu’il fonctionne de manière relativement indépendante de la manipulation gouvernementale, sans pour autant être totalement à l’abri de l’influence des gouvernements. Les répressions réglementaires peuvent en effet affecter le sentiment du public envers les cryptomonnaies, et par conséquent, influencer les prix.

Performance à court terme et performance à long-terme

Des rapports contradictoires existent quant à savoir si le bitcoin agit plus efficacement comme couverture contre l’inflation à court terme ou à long terme.

D’une part, à court terme, le prix du bitcoin peut grimper ou chuter brusquement. Cela limite sa fiabilité en tant que couverture contre l’inflation à court terme — le bitcoin fonctionnant davantage comme un actif spéculatif que comme une réserve de valeur stable dans ce contexte. Pourtant, une étude montre que dans les pays confrontés à l’hyperinflation, une protection est observée à court terme, alors que le bitcoin n’arrive pas à  offrir une couverture à long terme.

D’autre part, selon The Cointelegraph, à long terme, à mesure que les monnaies fiduciaires perdent de leur pouvoir d’achat en raison de l’inflation persistante et des interventions des banques centrales, la rareté du bitcoin lui permet de conserver sa valeur dans le temps. Bien qu’il soit encore relativement jeune, le bitcoin a démontré une forte appréciation à long terme, ce qui laisse entrevoir son potentiel à servir de réserve de valeur durable pour les investisseurs ayant un horizon d’investissement plus long et une certaine tolérance à la volatilité.

En résumé

Le bitcoin présente des avantages distincts par rapport à l’or, notamment en matière de portabilité et d’accessibilité en tant qu’actif numérique. Cependant, sa forte volatilité, sa corrélation avec les actifs risqués lors des ventes massives sur les marchés, ainsi que son niveau actuel d’adoption, limitent son efficacité en tant que couverture fiable contre l’inflation, en particulier dans les pays développés. Néanmoins, à mesure que le bitcoin gagne en reconnaissance auprès du grand public et s’éloigne des marges du système financier, son potentiel à servir d’actif résistant à l’inflation devrait se renforcer avec le temps.

Les stablecoins

Stabilité

Bien que les stablecoins n’offrent pas les avantages du bitcoin en matière de décentralisation ou de potentiel d’appréciation à long terme, leur stabilité, qui constitue leur objectif principal, les rend particulièrement attrayants dans des environnements où la monnaie locale perd rapidement de sa valeur.

La valeur des stablecoins est adossée à celle d’un autre actif, comme le dollar américain — ainsi, ils sont beaucoup moins pertinents en tant que couverture contre l’inflation dans les pays disposant de devises fortes, comme le Canada ou les États-Unis, où ils peuvent plutôt servir d’instruments de paiement.

Accès à une devise forte

Les individus confrontés à l’hyperinflation dans leur pays peuvent, en convertissant leur monnaie locale en un stablecoin indexé 1:1 sur une monnaie fiduciaire comme le dollar américain, accéder aux avantages de cette devise étrangère et ainsi éviter l’érosion de leurs fonds due à la dévaluation locale.

La conversion de devises locales en monnaies étrangères est depuis longtemps une méthode fiable de protection du patrimoine contre l’inflation domestique. Les stablecoins renforcent cette stratégie en combinant la stabilité des monnaies fortes — comme le dollar américain — avec les avantages uniques des actifs numériques. Ils offrent une portabilité accrue, une accessibilité élargie et des coûts de transaction réduits en éliminant les frais traditionnels de change (ForEx), rendant la protection contre l’inflation plus efficace et plus inclusive.

De plus, dans certains pays où l’accès aux dollars américains peut être limité par des contrôles de change — comme au Nigeria ou en Argentine (bien que les restrictions aient récemment été levées dans ce dernier) — les stablecoins offrent la possibilité de bénéficier de la stabilité du dollar sans subir de restrictions.

En résumé

Les stablecoins n’ont pas l’indépendance que peut offrir le bitcoin et restent dépendants à la fois de leur monnaie fiduciaire sous-jacente et des réserves détenues par leurs émetteurs centralisés, lesquelles, si elles ne couvrent pas leurs engagements, peuvent menacer la stabilité des prix. Ils sont également plus directement soumis à la réglementation que les bitcoins. Néanmoins, ils constituent une solution pratique pour les individus vivant dans des pays confrontés à une inflation extrême. Dans de tels contextes — où les monnaies locales perdent rapidement de leur valeur — les stablecoins peuvent permettre de préserver la richesse et de maintenir le pouvoir d’achat.

Nous allons à présent examiner de plus près comment les bitcoins et les stablecoins comme l’USDC ont joué un rôle dans l’atténuation des effets des crises inflationnistes à travers le monde.

Études de cas: autour du globe

Argentine

Confrontés à un taux d’inflation annuel atteignant un impressionnant 237 % en 2024 — le plus élevé au monde — et soumis à de stricts contrôles de change limitant les achats mensuels de dollars américains tout en imposant de lourdes taxes et surtaxes sur les conversions de devises, de nombreux Argentins se sont retrouvés avec très peu d’options viables.

L’échange officiel de devises était coûteux et fortement restreint, tandis que les alternatives informelles, comme le marché noir du « blue dollar », comportaient des risques juridiques et financiers. Dans ce contexte, les cryptomonnaies sont apparues comme une alternative séduisante, permettant de préserver la valeur, de contourner les contrôles de change — levés depuis avril 2025 — et d’échapper à la dévaluation rapide du peso argentin (ARS).

C’est ainsi que les Argentins se sont hissés parmi les plus grands utilisateurs de cryptomonnaies au monde, avec un taux d’adoption de 18,9 % contre une moyenne mondiale de 6,8 % de la population.

Fait intéressant, les données montrent qu’à mesure que la valeur du peso argentin chute, les volumes d’échange de stablecoins explosent : par exemple, lorsque l’ARS est tombé sous un taux de change de 0,004 $ (USD) en juillet 2023, le mois suivant, la plateforme latino-américaine Bitso a vu les volumes d’échange de stablecoins dépasser 1 million de dollars. Lorsque l’ARS est ensuite tombé en dessous de 0,002 $ fin 2023, le volume de stablecoins a dépassé les 10 millions de dollars le mois suivant.

Bien qu’il soit évident que l’ARS perde du terrain, certains Argentins s’interrogent aussi sur la santé du dollar américain — privilégiant l’achat de bitcoins plutôt que de dollars pour se protéger à la fois contre l’inflation et une éventuelle perte de prééminence du dollar à mesure que la dette croît et dévalue les monnaies fiduciaires.

Cela dit, les achats de cryptomonnaies en Argentine restent fortement orientés vers les stablecoins, qui représentent 61,8 % du volume total des transactions, tous actifs confondus.

Parallèlement, la demande de bitcoins a explosé sur les plateformes d’échange argentines telles que Lemon Cash et Belo. Cette dernière a notamment rapporté dix fois plus de transactions en bitcoin d’une année sur l’autre, soulignant à quel point la crise monétaire a poussé les Argentins vers des alternatives décentralisées pour préserver leur épargne et effectuer des transactions.

En effet, près de trois quarts des Argentins considèrent les cryptomonnaies et la blockchain comme des solutions face aux crises inflationnistes, ainsi qu’aux frais de transaction élevés associés aux moyens de paiement et aux transferts traditionnels.

Nigéria

Le Nigéria a lui aussi connu ces dernières années une dévaluation importante de sa monnaie locale, le naira (NGN), ainsi que des taux d’inflation élevés. Bien que les gros titres récents saluent une baisse du taux d’inflation à 22,97 % en mai 2025 contre 34,80 % en décembre 2024, les médias locaux dénoncent la réalité derrière ces chiffres : les produits essentiels restent totalement inaccessibles pour la majorité de la population.

Les réformes monétaires menées en 2023 ont fortement dévalué le naira, ce qui a entraîné une augmentation significative des volumes de transactions en stablecoins. Le Nigéria est un marché majeur pour les cryptomonnaies : certains rapports estiment que 10 % à 30 % de la population possède des actifs numériques — faisant du pays le leader de la région d’Afrique subsaharienne.

Les particuliers comme les entreprises utilisent les stablecoins comme substitut au dollar américain afin de réaliser des transactions dans une devise relativement stable face à la crise du change.

Parmi les cryptomonnaies en circulation au Nigéria — permettant des transferts locaux et transfrontaliers rapides — les stablecoins sont les plus utilisés, représentant 43 % du volume total des transactions. En comparaison, les bitcoins ne comptent que pour 18,1 % de l’activité crypto du pays, soulignant une forte préférence pour les devises numériques stables dans une économie confrontée à la volatilité monétaire et à l’inflation.

Les Nigérians utilisent les stablecoins et le bitcoin comme protection de leur épargne, en privilégiant à nouveau les premiers pour la stabilité qu’ils offrent. Conserver son épargne dans un naira en chute libre, associé à une inflation mensuelle élevée, entraîne une forte dépréciation de la richesse et une réduction du pouvoir d’achat, poussant ainsi les Nigérians à chercher des alternatives hors du système bancaire traditionnel.

Les stablecoins permettent notamment de préserver le pouvoir d’achat en donnant accès à leurs utilisateurs à des devises étrangères plus fortes comme le dollar américain — sans nécessiter de comptes en devises, souvent restreints par des contrôles de change et des barrières réglementaires.

En conclusion, plus que de simples investissements spéculatifs, les actifs numériques sont devenus des bouées de sauvetage pour les Argentins et les Nigérians confrontés à la dévaluation monétaire et à l’hyperinflation.

Dans ces contextes, les bitcoins et les stablecoins agissent comme des couvertures contre l’inflation, chacun avec ses avantages et ses inconvénients.

Dans l’ensemble, le bitcoin est largement considéré pour ses performances solides à long terme et son potentiel à surpasser l’inflation, ce qui renforce son attrait en tant que réserve de valeur numérique. Cependant, sa forte volatilité continue de remettre en question sa fiabilité en tant qu’« or numérique », notamment en période de stress sur les marchés.

Les stablecoins, en revanche, offrent une stabilité des prix grâce à leur adossement à des devises fortes comme le dollar américain, ce qui en fait un outil pratique pour préserver l’épargne dans les pays connaissant une dévaluation rapide de leur monnaie. Toutefois, leur utilité comme couverture contre l’inflation reste limitée dans les économies développées comme les États-Unis ou le Canada, où la monnaie locale reste forte et où la protection contre l’inflation nécessite des actifs capables de s’apprécier, et non de rester stables.

À mesure que les actifs virtuels gagnent en reconnaissance dans le grand public, et que les prix du bitcoin et d’autres cryptomonnaies se stabilisent, les cryptomonnaies pourraient jouer un rôle croissant en tant que protection contre l’inflation, tant dans les marchés développés qu’émergents.

Inscrivez-vous à notre bulletin de nouvelles pour recevoir d'autres articles comme celui-ci.

‍

‍

Foire aux questions

Comment le bitcoin se compare-t-il à l’or en tant que protection contre l’inflation ?

À l’instar de l’or, la rareté intégrée du bitcoin contribue à le protéger contre l’inflation. Toutefois, contrairement à l’or, il reste nettement plus volatil et moins stable.

Quel rôle jouent les cryptomonnaies dans les pays à forte inflation ?

Dans les pays confrontés à une forte inflation ou à une dévaluation rapide de leur monnaie, les cryptomonnaies peuvent servir de couverture contre l’inflation et permettre des transferts locaux et transfrontaliers à moindre coût.

Qu’est-ce qui rend le bitcoin résistant à l’inflation ?

Le bitcoin est considéré comme résistant à l’inflation en raison de sa limite d’émission fixée à 21 millions de pièces, une règle codée dans son protocole depuis sa création.